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Apprentissages

Publié le par Helene Bourdon

Bonjour à tous,

Le Fastnet
Le Fastnet

3 ans après et une émission de France inter plus tard me revoilà. J'ai écouté cet après midi dans la voiture, de retour des vacances de Noël, une émission forte intéressante sur la fameuse Fastnet Race de 1979. Ils y relatent les différents évènements de ce drame via un narrateur qui l'a vécu:

https://www.franceinter.fr/emissions/affaires-sensibles/affaires-sensibles-12-decembre-2016

S'en suit une discussion sur le contexte et les apprentissages associés. Ce qui est également intéressant est que ce reportage est en complet alignement avec ce que j'ai pu apprendre ou vivre lors de ma propre aventure aussi bien lors de mon cours de survie en mer que concernant le décalage entre les marins anglais et français. Concernant mon apprentissage, je vous renvoie vers mon article "sea survival". Concernant le décalage français-anglais, j'ai enfin eu quelques réponses.

Il est relaté qu'en Angleterre le marin/skipper est le seul maitre à bord et donc responsable de prendre la mer ou non en cas de tempête/ouragan. Effectivement, lors de mes entrainements, nous avons bravés à de multiples reprises un force 8 avec des rafales à force 10 lors de nos traversées de la manche au moment même où en France le départ de la transat Jacques Vabres était décalé afin de préserver les marins et les bateaux. Il en a résulté 2 marins à l’hôpital sur le deuxième bateau qui faisait la course avec nous et la mort d'une grand voile et d'un yankee sur mon bateau!

Virement du Fastnet
Virement du Fastnet par 4m de creux même si ça ne se voit pas!

Quelques années auparavant, lors d'un entrainement des Glénans en Irlande à Baltimore, l'ouragan Katia était annoncé approchant des côtes irlandaises. Rien y à fait, la base nous a envoyé en mer et interdit d'y revenir dormir car on était là pour apprendre! Heureusement, nous avons été raisonnables et avons dormi de l'autre côté du golfe, au port. Des rafales à plus de 100 km/h et des creux de plus de 6 mètres nous ont "bercé" toute la nuit. Autant dire que nous n'avons rien dormi et surveillé nos amarres en permanence. Deux jours plus tard, j'allais à mon tour virer le fameux Fastnet pour mon plus grand plaisir avec plus de 4 mètres de creux certes, le vent ayant chuté mais pas la houle. Mon skipper jugeant enfin possible la sortie en mer.

Comme expliqué dans le podcast, en France le comité de course est responsable en cas de casse à l'inverse de l'Angleterre où c'est le skipper, comme j'ai pu l'expérimenter. De ce fait, l'organisme de formation ou la Clipper Race n'étaient pas tenus de nous protéger tel que je l'aurais personnellement attendu.

Le rapport à la mer est bien différent également concernant la gestion du risque à bord. En Angleterre, on peut passer des diplômes de skipper for the day. Ce qui signifie qu'en gros même si on ne maitrise pas tout, on peut faire des sorties en mer à la journée en tant que skipper avec juste quelques bases. En France, déjà on ne peut pas passer de diplôme et encore moins pour la "journée". C'est avec l'expérience qu'on acquiert les compétences nécessaires pour faire face à n'importe quelle situation. Tout peut aller très vite. Je navigue seulement depuis 7 ans et j'ai déjà du faire face à 2 pannes moteurs en mer, une au port, une fuite de cale, 2 ouragans et un moteur qui fume en sortie de port. Même sur une journée tout peut arriver si vite. En donnant ce "passeport" pour la journée, peut être qu'on sous-tend que c'est facile et qu'on ne craint rien tant qu'on ne va pas loin. L'approche française est beaucoup plus conservative.

A la barre par force 7 alors que pétole était annoncé
A la barre par force 7 alors que pétole était annoncé

Avec le temps, je me suis également rendu compte d'un autre décalage avec les anglais. Chez nous faire de la voile est également associé aux personnes aisées mais pas seulement. Des personnes comme moi vont faire un stage aux Glénans ou partir avec quelques amis en cabotages pour des sommes acceptables. Ce n'est pas réservé à une élite. En Angleterre, il semblerait que ce ne soit pas tout à fait la même. Lors de mon expérience, j'ai rencontré peu de passionnés et beaucoup de personnes riches qui voulaient faire quelque chose. L'approche et les attentes n'étant pas les mêmes ça a sans doute amplifié le décalage. La Clipper Race marche en Angleterre mais aurait sans doute peu de chance de rencontrer du succès en France. Personne en France (ou presque) n'irait mettre 70 000 euros pour faire le tour du monde avec des inconnus sur des bateaux. Avec un tel budget, un français tenterait plutôt sa propre aventure.

En Angleterre, même en n'ayant jamais navigué, on se dit qu'on peut faire la Clipper race pour vivre une expérience unique. C'est également ce qui est relaté dans le podcast. Mais ont-ils vraiment conscience de ce qu'ils font? Depuis ma course, il y a eu 2 morts dans l'édition suivante et déjà 1 mort dans celle en cours. Peu avant que j'embarque, un homme avait été sauvé in extremis d'une mort certaine après une chute en mer alors qu'il avait été repêché 40 minutes plus tard dans une eau glaciale. Et quelle ironie quand le 31 octobre dernier, jour de mon anniversaire, j'apprends que mon bateau, le CV24, s'est échoué au sud de l'Afrique du Sud! Heureusement aucun blessé. Le bateau a du être démantelé sur place. Il n'y avait jamais pas eu de mort ou d'échouage avant l'édition 2015-16.

Départ de la Clipper Race au dock Sainte Katherine
Départ de la Clipper Race au dock Sainte Katherine

Faut-il se poser la question de la pérennité d'une telle course sur le long terme? Au début la course attirait les passionnés de voile et permettait un bon équilibre novices / expérimentés. Aujourd'hui, à force, les marins aguerris ayant les moyens se font peut-être plus rares. A ratisser de plus en plus large, ils commenceraient alors à avoir de vrais équipages non expérimentés et à faire prendre de gros risques à ces novices...

Et n'oubliez pas d'écouter le podcast!

Joyeuses fêtes :)

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Epilogue

Publié le par Helene Bourdon

Version Française

Aujourd'hui j ai 35 ans et toujours toutes mes dents. ouf! :)

Depuis le début de cette aventure beaucoup de choses ont changé. En 2013, j'étais une célibataire trentenaire qui parcourait le monde et les océans. Aujourd'hui je suis toujours aussi épanouie mais en couple et découvrant le monde autrement. Quand je me suis inscrite à cette aventure j'étais à la recherche de moi même. Je cherchais à me dépasser. A faire quelque chose qui me paraissait impossible, moi grande trouillarde de l'extrême. A cette époque je vivais voile, pensais voile et rêvais voile. Toutes mes vacances y étaient consacrées et mes temps libres étaient passés à jouer à Virtual Regatta ou à suivre différentes courses. Ma passion m'a amenée à vouloir tenter l'expérience et vivre par moi même ce que j'admirais et respectais tant. Je ne pensais pas traverser un jour un océan. Mais finalement je l'ai fait et pas sans peine!

Avant l'expérience j'étais très optimiste et excitée à l'idée de faire cette aventure extraordinaire et rencontrer toutes ces nouvelles personnes. Je pensais vivre l'aventure de ma vie. Pour être honnête, je l'ai vécue. Mais pas de la façon dont je pensais!

 

 

Ma première semaine d'entrainement correspondait exactement à ce que j'attendais. Entrainement avec des professionnels sympathiques et pédagogiques. Mes équipiers venaient du Canada, d'Australie, de Russie, d'Angleterre et de Nouvelle Zélande/Corée. What else. Une super ambiance. Des fous rires à foison. Beaucoup de choses apprises. La prise de confiance en mes compétences nautiques reconnues par mon moniteur autant que l'équipage. De pétole au soleil à coup de vents sous la pluie on a tout eu. De la fessée de Rob au curry trop pimenté de Sang et Morgen en passant par la perte du téléphone de Natalya en montant au mat en pleine mer, on a vécu plein de moments simples mais heureux que je n'oublierai pas.

Nous avons célébré la fin de cette semaine en allant au pot de départ de la Clipper à Londres. J'ai tellement déconnecté pendant cette semaine là que j'en ai oublié mon code de carte bleue et bloqué ma carte.... heureusement mes co-équipiers étaient là pour m'aider. Découverte également enfin très brièvement de mon futur bateau et de mon futur équipage. Je suis surprise de la froideur de l'échange mais me rassure en me disant que c'est parce que le départ approche et qu'ils sont stressés. Mais mon impression se confirmera quand je tenterai d'aller les voir lors de l'escale à Brest.

Mon deuxième entrainement n'avait rien à voir niveau conditions ni équipage. Je me suis retrouvée avec deux tiers de "sea cadets" anglais et quelques personnes comme moi. J'ai eu un peu peur de ne pas réussir à m'intégrer. Mais c'était une erreur. Ils avaient tous un coeur énorme. Bien plus jeunes, pas forcément d'un milieu favorisé et super ouverts. C'était une sacré expérience. Nous avons bravé une belle tempête. De beaux creux. Une vague qui me submerge et me retourne déclenchant mon gilet de sauvetage. Un moniteur strict peu apprécié mais qui m'a énormément appris. une semaine dure mais tellement utile pour la suite!

Entre ma deuxième et troisième semaine d'entrainement, je fête mon anniversaire sur les docks à Portsmouth avec les sea cadets et Jeremy le gentleman.

Ma troisième semaine d'entrainement fut une réelle épreuve. Les intempéries de la semaine d'avant n'étaient rien en comparaison. Heureusement nous avions Quentin, l'écureuil volant écossais, pour skipper. Un beau brin de skipper. Charismatique et avenant. Dans cet équipage j'ai beaucoup sympathisé avec Angie, Jack et Alessandra. On a vécu un enfer. Force 7 avec rafales à 8 sur nos aller-retours ente l'Angleterre et la France. J'ai vomi tripes et boyaux mais réussi à en rire. Appris que je pouvais survivre à ce genre de situation. Découvert mes limites et la robustesse de mon tout nouveau matériel pour dormir et survivre aux nuits glaciales.

Durant tous ces entrainements au final, la seule personne que je vais rencontrer de mon équipage Switzerland sera Jack. Mais il fait la leg du pacifique. Je m'avance donc vers l'inconnu total et entier: aussi bien l'équipage que la skipper que le bateau!

Durant ces mois d'attente, je n'ai pas perdu mon temps. J'ai écrit ce blog en ce qui concerne les entrainements. Je me suis démenée pour que ma boite subventionne l'association que soutient mon bateau: Mercy Ships. Je me débrouille pas trop mal et réussi à récolter quelques 2'565 dollars abondés de 3000 dollars par ma compagnie et 450 euros de subvention du CE. Au final c'est l'équivalent de 4 vies qui ont pu être sauvées. Juste parce que j'ai fait un petit effort (je ne parle pas de la traversée hein ;) ). J'ai rencontré le président de Mercy Ships en Suisse ainsi que différents interlocuteurs aux USA, des personnes merveilleuses et enrichissantes. Une cinquième vie sera également sauvée quelques mois après la transat grâce à un award de ma compagnie pour mon "Volunteer impact", avec une prime de 1500 dollars pour Mercy Ships.

Le départ pour New-york approche. La peur m'envahit peu à peu. C'est dangereux, mega dangereux! Je dois confier ma vie aux mains d'inconnus. Mes premières interactions avec l'équipage fixe (les "roundtheworlder") est extrêmement glacial et antipathique. Heureusement les autres, ceux qui n'ont fait que quelques legs ou ne font que celle là, sont très ouverts et accueillants. Je rencontre tout d'abord au telephone Richard Greer. Un Irlandais qui parle français avec un accent exquis qui va d'abord me rassurer par telephone avant de me prévenir que l'intégration sera difficile. Ensuite je rencontre sur les pontons Sam, une Irlandaise dynamique qui n'a pas la langue dans sa poche et a le coeur sur la main. Nous passerons la semaine avant le départ à nous soutenir, étant toutes deux exclues des entrainements ou soirées avec notre équipage pour une obscure raison qui ne tient pas la route. Je rencontre également Chris. Un banquier suisse parrain de Mercy Ships. Un homme extraordinaire toujours plein de ressources et d'aventures à partager. Il m'amènera au New-York yacht club, lieu impossible à pénétrer sans connaitre un membre (Roosewelt ou Rockefeller en ont été membres pour donner une idée du niveau...). Un endroit très select et riche en histoire nautique. C'est là que le trophée de l'America's cup est remis.

J'y suis d'ailleurs retourné le 4 juillet dernier en pèlerinage, mais je suis restée en bas devant la porte cette fois. :)

Le départ approche. Il reste une nuit. Sam étant une personne extraordinaire, elle m'invite à partager sa chambre pour que je passe une bonne dernière nuit avant la traversée. Elle échange un lit double pour une chambre avec 2 lits simples. C'est très généreux de sa part! D'ailleurs, petit détail. Je pensais que nous serions dans une super marina à Manhattan, la grande classe quoi mais pas tout à fait. Là où la Clipper nous a installé il n'y a ni wifi, ni électricité ni douche ou sanitaires quelconques! C'est pire que dans les endroits les plus reculés d'Irlande où nous avions tout de même l'électricité. Le matin, en dormant sur la bateau, je devais prendre le ferry pour aller me laver dans le New Jersey pour un cout de 8 dollars de traversier! Une honte quand on voit le prix qu'on paie pour cette course. On m'a vendu une semaine de fiesta à New-York et il n'en a rien été, du moins pas grâce à l'organisation.

L'heure approche. Je suis sur le pont. Seule, je tourne en rond. La majorité des gens sont accompagnés de famille ou amis. Moi je n'ai personne. Les quelques personnes qui avaient promis d'être là ne le sont pas et ceux qui habitent à deux pas n'ont même pas fait l'effort. Ce qui est bien et triste en même temps c'est que grâce à ce genre d'évènement on voit qui est là et qui ne l'est pas. On est agréablement surpris par l'implication de certains tout comme l'indifférence de certains autres. ça fend le coeur mais au final ça permet de savoir sur qui on peut compter quoiqu'il arrive et c'est bien. Les autres sont là dans la vie de tous les jours mais on sait la limite de ce que l'on peut attendre d'eux et ça évite de futures désillusions.

Le départ est donné. En accord avec toutes les craintes qui j'ai pu ressentir, l'intégration n'est pas celle qui j'ai pu avoir lors de mes entrainements. Tout ne se passe pas si mal. Edward vient de suite me prendre en charge et me mettre dans la routine des manoeuvres. Mon petit niveau sur les réglages de spi et mon expérience au piano me permettent de gagner mes gallons pour être sur les manoeuvres en tant que marin et pas juste spectateur ou bras sur les moulins à café. Je vais passer 16 jours à penser. Remettre en cause ma vie, mon attrait pour ce sport, mes relations sur le bateau, mon avenir... Les marins ont vraiment le temps de penser. Que faire d'autres quand on regarde la mer, le vent et les dauphins. On ne peut que se demander qui on est dans ce monde où on est si petit et vulnérable. Je vais très mal vivre cette aventure sur le moment au point de vouloir la quitter au plus vite. Je vais en perdre le sommeil et voir même sans doute un peu la tête.

Avec le recul et après avoir digéré tout ce que j'ai perçu comme des bassesses de la part de certaines personnes de l'équipage, je peux dire qu'aujourd'hui l'expérience globale est positive. Sur le moment, je ne voyais pas Robin, Ed ou Richard. Ils étaient pourtant là à chaque quart. Chacun m'apportant quelque chose de différent. Me complaisais-je dans mon malheur? sans doute un peu. Aurais-je pu faire quelque chose pour me sortir de ce schéma? sans doute. Cela m'aurait demandé une énergie et une envie qui me manquait. J'ai donc subi cette expérience plus qu'autre chose. Enfermée pendant 16 jours sur un bateau au milieu de l'océan avec des inconnus et sans aucun échappatoire à part la mort. Impossible de téléphoner, d'envoyer un mail ou de simplement s'isoler. On est confiné. On est réduit à suivre le mouvement quoiqu'il arrive et subir ce que l'on a décidé de nous faire ce jour là. Passer à la navigation m'a permis cependant de m'échapper un peu vers la fin. J'étais enfin seule devant mes radars, mes indicateurs de vent, cap et vitesse. Je retrouvais le plaisir que j'avais en jouant à Virtual Regatta. Mais c'était grandeur nature et pour de vrai cette fois. Je n'ai pas non plus loupé le plaisir d'observer tous ces dauphins, baleines et autres planctons phosphorescents. C'est unique comme expérience et je ne la referai pour rien au monde :)

Le seul vrai bémol concerne les organisateurs de la Clipper. Aussi bien à New-York qu'à Londonderry les facilities n'étaient pas à la hauteur. L'entrainement pour les novices est plus qu'insuffisant et dangereux. Sur la Clipper 15-16 il y a eu deux morts et je m'étonne qu'il n'y en ait pas eu avant vu le manque de connaissances et de compétences avec lesquelles on envoie de riches apprentis sur les océans au péril de leur vie. Mon amie Angie qui n'était même pas capable de faire un noeud de chaise à la fin de ses 3 semaines d'entrainement s'est fracturé la clavicule lors de la première semaine en mer. Heureusement pour elle, ils étaient encore près du Japon et ils ont pu la débarquer. Une autre chose qui est inacceptable, c'est de m'avoir mis sur un bateau où je ne connaissais absolument personne et avoir été la seule dans ce cas. Tous les autres avaient déjà navigué ensemble ou fait un week-end d'intégration. Arriver sur la dernière étape quand tout le monde est blasé et ne fait plus aucun effort est voué à l'échec. Jack qui s'est retrouvé sur Switzerland sur la leg du pacifique m'a avoué après coup en avoir autant bavé et avoir subi les mêmes brimades de la part de Freaky et Selfy. On avait les mêmes adjectifs les concernant sans s'être concerté! Heureusement tout ne s'arrête pas à quelques individualités. Et surtout, ils n'ont pas réussi à me dégouter de naviguer.

Donc mon conseil, la Clipper c'est possible mais faut prendre la mesure de ce qui vous attend en terme financier, humain et ne pas s'inscrire après les entrainements ou ne faire que la dernière leg!

Au final, un bilan global plutôt positif avec maintenant une expérience transatlantique à mon actif. Je sais manoeuvrer entièrement un 70 pieds de numero 1 à navigateur en passant par barreur et régleur. J'ai rencontré des gens extraordinaires et d'autres un peu moins, la vie quoi. J'ai sauvé l'équivalent de 5 vies et appris à me connaitre. J'en ai bavé mais si j'en avais pas bavé, cette expérience m'aurait-elle autant apportée?

 

Bons vents à tous!

Hélène

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This is the end

Publié le par Helene Bourdon

This is the end

Version française

Nous y sommes, nous voyons les côtes. Nous allons attendre quelques heures que 2 autres bateaux arrivent également. Nous faisons des ronds dans l'eau. Pendant ce temps là j'en profite pour appeler Pat. Elle est super ravie que je l'appelle, toute enthousiaste mais je rabaisse vite sa joie. J'ai besoin qu'elle me trouve un billet d'avion retour depuis Belfast ou Dublin au plus vite. Je veux rentrer. J'ai pensé tout de suite à elle et Emilie pour faire le job, mes deux globes trotteuses et amies :) Pat a été la première à répondre. Elle va me trouver un retour depuis Dublin et un bus pour aller à Dublin airport dès le mercredi. Nous sommes lundi. C est bien, ça me laisse le temps de faire la soirée de remise des prix du mardi soir et le deep clean. Je n'aurais rien à me reprocher car j'aurais aussi nettoyé jusqu'au bout.

Vicky fait un dernier brief. Elle nous indique où nous retrouver pour le verre de l'arrivée vers 20h le soir même. Elle fait l'annonce des départs. Selfy quitte l'aventure à l'arrivée ainsi que Chris. Nous sommes au final 3 à partir dès Derry et ne pas continuer jusque Den Helder ou Londres. 1 semaine de rien (pas de navigation ou de team building) puis 4 jours de navigation puis re 1 semaine de rien et 1 jour de navigation jusque Londres. Il n'y a pas que moi que ça a découragé. D'ailleurs j'apprendrai plus tard que sur le bateau en face de nous au ponton, 6 personnes sur 18 vont quitter l'aventure également!

This is the end

Nous rentrons donc en cortège, il est environ 16h. Première terre et déjà des irlandais sont là à nous acclamer. Ca fait bizarre de voir des gens nous célébrer tels des héros et je n'ai encore rien vu. Ils nous applaudissent, crient et sourient. De nouveaux êtres humains, c'est dingue ce que c'est chaleureux. J'ai envie de pleurer. Il ne fait pas beau, on est un lundi après-midi et ils sont là, ne nous connaissent pas mais saluent notre performance. Plus nous allons nous rapprocher du port et du lieu du festival et plus ils seront nombreux. Plein de drapeaux, d'applaudissements et de joie. C'est beau. Je pleure et ne suis pas la seule. Nous les saluons et agitons nos drapeaux. Pour l'occasion, la tenue d'équipe est de rigueur, imposée des chaussures à la casquette. C'est la première fois depuis New-York où nous sommes accoutrés de la sorte et aussi beaux. :)

J'ai l'impression que rien que pour ce moment cela vallait le coup. Je l'ai fait bordel. J'ai traversé l'atlantique dans des conditions de malade avec 22 inconnus. Je me suis surpassée et je rencontre enfin des gens qui savent l'apprécier et saluent sincèrement notre performance. C'est bouleversant. Pour la première fois je n'ai pas honte de pleurer. Ca fait du bien, une délivrance dans un tel moment de joie c'était inimaginable. Un grand moment. Avec le départ devant la statue de la liberté et la navigation au milieu d'un banc de baleine, c'est mon top 3.

This is the end

Arrivée à quai, la maire de Derry vient nous féliciter chaleureusement. On fait quelques photos d'équipage. On est enfin libre. Enfin presque, il ne reste plus qu'à passer la douane. A peine le pied posé sur le ponton on nous file des sodas et une bière chacun, on est en Irlande du nord tout de même. Je suis le mouvement, on me donne mon passeport. J'arrive au niveau des douaniers. Ils me font une blaguent et me disent que c'est sérieux et que je ne devrais pas être en train de boire une bière pendant mon passage de frontière. Je suis tellement à l'ouest que je ne la saisie pas et suis à deux doigts de la verser dans la mer. Mais heureusement ils m'arretent à temps, me sourient et me font une tape amicale.

Après la douane nous nous devons de sortir des pontons et nous mêler à la foule. Oui la foule. Ils sont là, tous là. Les locaux, les amis et la famille de tous mes coequipiers et de ceux des autres bateaux. Moi je suis seule. J'ai un bref espoir que mes amis m'ont fait une surprise et seront bien là en fait. Je les cherche, je suis impatiente et enthousiaste. Mais non, je me sens bête. J'ai tellement besoin d'eux. Mais je dois sortir dans la foule, on a pas le choix. Au final, je vais prendre un bain de foule et me faire taper dans le dos de symapthie par plein de gens. Ca fait quand même du bien. Mais après quelques mètres, je me rends à l'évidence. Ma seule maison pour le moment est le bateau, je n'ai nulle part ailleurs où aller. Une fois la cohue passée, je retourne donc sur le bateau me changer. Avec toutes ces formalités, il n'est pas loin de l'heure du rendez-vous pour le verre final.

This is the end

Je ne prends pas le temps de me laver croyant que ne pas avoir le temps. En plus je ne trouve pas les sanitaires que Vicky nous a annoncé. J'en trouve vaguement 2 sur les pontons mais c'est tout, ceux indiqués plus loin sont tous fermés. Pas de marina en vue. Pas grave, je marche loin jusqu'au bar de la "victoire". J'arrive seule. En fait, ils sont tous allés à leur hotel se changer et se laver, logique. Une des filles a une maison qu'elle a loué et la partage avec pas mal de membres de l'équipage. Seuls Richard G et moi dormont sur le bateau. La soirée se passent comme la transat. Je ne me sens pas forcément à ma place et ne sait pas trop avec qui discuter. Je n'ai juste pas envie. Je suis à bout et n'ai pas la force de faire semblant plus longtemps. Je ne veux pas gacher le plaisir de Ed ou Richard qui passent un si bon moment. Je ne veux pas le leur voler :) Je passe donc la majorité de la soirée avec Malcom et sa femme qui sont toujours aussi chaleureux et enthousiastes. Ils sont très gentils et me ramèneront même en voiture au bateau.

Je cherche encore les sanitaires et ne les trouvent pas. Je suis si fatiguée et j'aimerais tellement une bonne douche. Personne ne sait où sait. Les deux sanitaires (un homme et un femme) sont pleins. Je pleure. Le vigile des pontons prend pitié et m'ouvre le sanitaire handicapé. Je peux enfin me détendre sous une douce chaude et me voir dans une glace. Ca fait peur mais c'est pas grave. Je peux aller me coucher sereinement. Demain je n'ai rien à faire à part nettoyer, célébrer et me préparer à rentrer.

Au réveil, nous allons prendre un bon café avec Richard. Il est bienvenu. Je vais y passer pas mal de temps vu que le wifi n'atteint pas notre bateau au bout du ponton. Je reprends contact avec le monde extérieur. Coup de fil au parent, messages de sympathie des amis et de la famille.

This is the end

Le nettoyage final est assez rapide, je le passe avec Chris pour profiter des derniers moments en sa compagnie. Nous faisons la "super vaisselle" et re-nettoyons tout à l eau clair (première fois depuis le départ). En sa compagnie c'est un plaisir et je retrouve de nouveaux moments de joie. Chris a une bonne idée, ils nous fait poser avec Vicky pour célébrer les 3 vies que j'ai pu sauver grâce à tout ça. Très bonne idée. 3 vies et même 4 dans les mois qui suivront grâce encore à ma compagnie qui me récompensera d'un award de "volontaire". C'est ce que j'écrirai dans mon message d'adieu à l'équipage. Rien que pour ça ça vallait le coup! Ce n'est pas souvent qu'on a ce genre d'occasions! :)

Une fois fini, je pars annoncer aux bureaux de la Clipper mon départ et récupère mon passeport. J'en profite pour visiter la ville l'après-midi. Après 2h de marche je suis épuisée. Et oui, je n'ai pas marché depuis 16 jours! La ville a beaucoup souffert et la visite est très intéressante.

Le soir, à la remise des prix, j'en profiterai pour revoir mes amis de training (Morgen, Deb ou Emma), danser un rock avec Chris ou parler avec Greg ou l'autre Chris avec qui j'avais sympathisés mais qui n'étaient pas de mon quart. Une bien belle soirée de fin. En rentrant, au final, malgré l'épuisement, je ne vais pas dormir. Mon bus pour Dublin est à 5h, j'ai trop peur de le louper. Au final, j'aurais mon bus, un avion avec 3h de retard à cause des grèves de controleurs en France et une personne qui sera venue me chercher à l'aéroport.

Je suis enfin chez moi. Seule avec mon lit et mon wifi. Contre toute attente, je ne vais pas dormir plusieurs heures d'affilées et ne le ferai jamais. Cette expériene fut une brèche temporelle et mon corps a retrouvé le rythme dès le retour. Le vendredi, 1 jour après en fin de compte, j'étais de retour au travail et j'allais à Swindon dès le lundi au plus grand plaisir de mon chef. La vie a repris son cours mais j'étais définitivement changée!

Ceci est l'avant dernier post, un beau final vous attend. Là j'embarque pour New-York un 4 juillet, de quoi avoir le temps d'écrire un bel épilogue avec une fin heureuse :)

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Terre!

Publié le par Helene Bourdon

Terre!

Version française

La course est finie et nous sommes au moteur. Il n’y a plus grand-chose à faire sur le pont. Nous décidons donc de commencer le grand nettoyage pendant ce temps-là. L’objectif est d’être quasi tranquille à l’arrivée à Derry. Nous allons commencer par les réserves de nourriture. Nous allons trouver toute une cargaison d’oranges périmées. On a oublié de les manger et beaucoup d’entre elles sont très ou trop abimées. Nous allons les mettre dans un seau pour les jeter par-dessus bord. Ce n’est pas idéal de jeter des agrumes mais là ça devient nauséabond. J’aurais été sur mes « petits » bateaux j’aurais incendié le skipper « les agrumes ça se désagrège pas dans l’eau, c’est comme les peaux de banane, interdit de jeter à l’eau » Comme l’avait dit Jacky, mon moniteur des Glénans en Irlande , tout ce qui ne vient pas de la mer, la mer le digère pas donc niet ;) Au final, nous allons nous prendre un fou rire en balançant ces oranges. On fait des concours de tir d’orange par-dessus bord. Vicky se joint à nous. On balance tout ça de toutes nos forces et on rit. On rit très fort, on relâche enfin les tensions accumulées. C’est fini, on trace tout droit, fini la vigilance sur tout et tout le temps, les changements de voile, les consignes interminables et les prises de tête.

On va quasi tout ranger ou nettoyer et ce ne sera pas à l’aide de nos petits copains de l’autre quart qui ont plutôt l’air de n’avoir pas trop aidé entre deux quarts vu qu'on retrouve le bateau comme on l'a laissé en fin de quart. En rangeant, je vais découvrir des choses dans des poches au-dessus des réserves de nourriture. Je vais en effet nettoyer un endroit qui n’a pas été nettoyé depuis plusieurs mois puisque j’y retrouve les chaussures perdues d’un membre de la course Sydney-Hobart ! Greg sera quelque peu agacé, cela veut dire que personne n’a jamais vraiment nettoyé la zone de réserve de nourriture ce qui est plus que moyen. Et oui si la nourriture devient avariée, on est mal barré car pas de ravitaillement possible en cours de route ! Mais heureusement seules les oranges y sont passées. Les patates douces et les pommes ont survécu jusqu’à l’arrivée !

Terre!

De ce temps libre, Vicky en profite pour organiser des debrief par quart. C’est l’occasion de revenir sur ce qu’il s’est passé et dire les plus et les moins. Selfy prend des notes. Richard G est mother ce jour là, il fera son debrief à posteriori avec Vicky. Nous avons quelques heures pour nous préparer. Je ne sais pas trop jusqu’où je vais aller. Il ne reste qu’une nuit, je n’ai plus grand-chose à craindre. Qu’est-ce que je peux dire de constructif ? Comment vais-je formuler cela pour que le message passe ?

Robin commence avec le fait que l’intégration est catastrophique et que les taches ne sont pas bien réparties. J’en rajoute une couche et évoque que notamment les ordres de Freaky ne sont pas forcément toujours bienvenus et sont plutôt perçus comme des corvées. C’est là qu’à ma grande surprise je me fait moucher par Gordon. Pour lui les roulements ne sont pas des corvées et Freaky était en droit de nous donner des ordres vu que c’était son rôle. Il reconnait néanmoins qu’on aurait peut-être du repréciser le rôle de Freaky en cours de route vu qu’à priori ce n’était pas clair pour tout le monde. Freaky en rajoute une couche en disant que c’était pénible pour elle de devoir nous dire quoi faire en permanence et que ça aurait du être naturel chez nous.

Ce qui est marrant c’est qu’ils n’ont pas compris mon point. Faire des roulements est une évidence. Les faire quand on nous aboie dessus en nous ôtant la liberté de décider entre nous ce qu’on a envie de faire à ce moment-là est justement ce qui rend la chose pénible. Je pense que sans son obsession du contrôle, on aurait trouvé notre rythme et ça se serait bien mieux passé. Bref on est pas aligné et on cherche pas à se comprendre encore une fois. Je n’insiste pas en me disant que c’est peine perdue et qu’au final bah ça ne sert plus trop à grand-chose de me battre. Il n'y a même plus de nouvelle manche où quelqu'un pourrait souffrir de la même façon que moi. Plus rien à sauver.

Wim quant à lui dit que l’intégration était super et que tout était parfait. Forcément quand on est le chouchou de Freaky ça aide :) A la fin de ce tour de debrief aucune conclusion n’est tirée. Robin demande alors à Selfy de nous résumer ses notes et ce qui a été retenu. Elle va nous sortir sans aucune honte qu’elle a retenu deux choses : il faut bien préciser que c’est Freaky qui dirige (et non la watch leader ?!) et que l’intégration s’est bien passé. On a pas du entendre la même chose. Bref aucune remise en question encore une fois et aucune empathie. Bon allez plus qu’une nuit, plus qu’une !!

Terre!

On s’approche. La terre devrait bientôt être en vue. Un oiseau se pose sur notre pont. On est tous à fond. Le premier visiteur est déjà là pour nous accueillir. Tout le monde est excité. On va le prendre en photo sous toutes les coutures et lui donner à boire. On est pas au cap horn et donc ce n’est pas un albatros. Nous sommes en Irlande après 16 jours en mer et ça me va bien aussi. Je ne m’imagine pas au milieu des 40ième rugissants et loin de tout pendant encore plus longtemps. Les albatros font un effet bœuf aux marins. J’ai lu plusieurs livres de navigateurs et tous parlent avec passion de ces animaux qui vous rejoignent au milieu de nulle part. Je comprends enfin la sensation. Étant une petite joueuse, une mouette équivaut bien à un albatros. Vous n’avez qu’à voir le regard de François Gabart avec son premier albatros pendant le Vendée Globe, c’est magique, un vrai gamin. Du coup cet oiseau, on va le chouchouter. Il restera quelques heures avec nous tranquillou posé sur les drisses en pied de mat.

La terre devrait être en vue pendant notre quart. On est lundi matin. Il n’y a d’ailleurs plus vraiment de quart vu que l’arrivée est prévue lundi après-midi. Richard G est à fond ainsi que Sam. Ils sont tous les deux natifs de la région de Derry.

Ça y est on aperçoit l’Irlande. Comme dans Asterix et Obelix on crie «Terre! ». Je la regarde longuement. Elle est là. Bien là. Je reconnais ses formes. J’y ai navigué il y a quelques années. Elles sont sauvages et si belles. Ce petit bout de terre mêlant falaise et verdure est là. Bien là. Enfin terre, bientôt la fin de cet enfer. Richard prend la barre et je prend plaisir à lire la joie sur son visage. Il est fier d’être dans son pays natal. Il est beau sur ce bateau avec ce regard. La joie de Sam et Richard me remplit de bonheur. J’en oublie presque le mien.

Nous longeons le nord ouest de l’Irlande puis le nord pour arriver à l’embouchure de Derry. C’est magique. Que c’est beau le vert après 16 jours de bleu et de gris. Mais nous n’allons pas rentrer de suite. Ils veulent que l’on fasse un cortège avec les autres bateaux.

Terre!
Terre!

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Peaks and valleys

Publié le par Helene Bourdon

Peaks and valleys

Version Française

C’est mon premier quart depuis mon burnout. Notre chef de quart est maintenant tenue de nous briefer en tant qu’équipe avant de monter sur le pont. On sent bien qu’elle n’a pas envie, ne sait pas quoi dire et le subit plus qu’autre chose. Elle va donc nous réunir avec le sourire à l’envers et aussi peu d’entrain qu’un cochon allant à l’abattoir. Je ne sais pas si ça booste qui que ce soit mais au moins elle obéit à Vicky. Peut-être qu’éventuellement ça éveillera une certaine prise de conscience chez elle. Au final, les briefings avant de monter sur le pont ne dureront pas plus que 4-5 quarts d'affilés. Elle finira par reprendre l’habitude de ne pas nous parler avant de prendre notre quart.

Je suis maintenant dans le roulement de navigateur. Je vais pouvoir enfin faire des routages, enfin c’est ce que je crois. Je vais vite être déçue. Le navigateur sur Switzerland est juste là pour remplir le journal de bord avec des logs toutes les 15-30 minutes, s’assurer que l’on suit bien le cap que Vicky a défini et qu’on ne rentre pas dans un obstacle. Cela créé une petite routine. A défaut de pouvoir tester en vrai mes compétences de routage développées lors de nuits sans sommeil à jouer à Virtual Regatta, je vais pouvoir y trouver un certain confort. Finalement, un bon rituel qui va bien ça fait du bien. Et le petit détail qui ne gâche rien, étant en binôme avec Selfy, nous ne nous croisons plus que lors du roulement.

Au changement de quart, on prend le feedback du quart d’avant : vitesse du vent, cap, vitesse du bateau, houle, météo et performances. On fait de même avec la relève mais en plus court. Ensuite toutes les 30 minutes max on remplit une ligne du journal de bord : vitesse du vent, cap compas, cap GPS, houle, log, couverture nuageuse, voilure, évènements... En plus de cela, on doit calculer les stats par barreur. Cap sur les 30 dernières minutes. Vitesse vs vitesse du vent, régularité… On vient les annoncer à l’équipage sur le pont tous les quarts d’heure. Je me sens bien plus utile et à ma place. Je suis dans l’obscurité au milieu de plein d’outillages et je me sens bien. Je me retrouve à faire des maths et de la science comme lors de ma thèse. Je suis aux anges. Monter sur le pont annoncer les stats qui sont attendues de l’auditoire me donne presque le sentiment d’être acceptée. Et mine de rien, si on s’amuse à faire quelques calculs (qui ne serviront à rien je sais) et qu’on fait attention à tous les instruments, on a quasi pas le temps de s’ennuyer. C’était une très bonne idée de la part de Vicky !

Peaks and valleys

Le seul petit hic concernera le relais avec Selfy. Sans grande surprise, elle sera de nav la nuit quand il fait froid, elle sera sur le pont au levé ou au coucher du soleil,… Et surtout elle ira et partira sans communiquer. Elle décidera toute seule et je devrais être à l’affut pour savoir si c’est à moi ou à elle. Elle m’ignore et m’évite, je ne peux pas vraiment combler son manque d’empathie et forcer la communication. J’en parle à Robin pour savoir comment il gérait. Il me confirme qu’elle s’octroie d’office les meilleurs postes en fonction du moment et que faut juste imaginer où il fait mieux être et anticiper que par défaut on a l’autre poste. C’est bien évidemment sans grande surprise de la part de Selfy. Mais je m’en fous, je suis bien dans ma grotte et tant que j’arrive à y aller au moins 50% du temps ça me va. Je ne suis plus sur le pont à subir l’ambiance générale. Je suis seule avec moi-même et ça fait du bien un peu d’intimité !

Lors des changements de quart je me retrouve à discuter avec Richard B. Il est très gentil, aime la voile et est vraiment quelqu’un que j’apprécie sur ce bateau. On fait des plans sur la comète sur l’arrivée à Derry, le contournement de l’écosse… Il me parle de ses expériences de marin chevronné. Ça me donnerait presqu’envie de rester. J’ai presque des regrets. J’aurais tellement aimé être bien sur ce bateau. Ne pas avoir eu tous ces coups de mous et de bâton. Voir peut-être également ne pas avoir donné le bâton pour me faire battre à différentes occasions à mes persécutrices dans certains cas. Mon chef de quart commence à me parler. On fait même un moment potin à l’arrière du bateau. On raconte ce qu’il se passe aux ports. Elle me parle de son copain qui est sur un autre bateau et qui fait le tour du monde comme elle. C’est comme ça qu’ils se sont rencontrés. C’est facile et ça rend l’aventure plus humaine. Mais pourquoi ça n’a pas eu lieu avant ? Est-ce moi ou les autres ? Un peu des deux surement.

Peaks and valleys

Vicky a également instauré des moments de convivialité entre les quarts du midi. Comme déjà évoqué nous allons faire des jeux où les deux quarts s’affrontent sur des épreuves. Ce sera marrant mais au final on ne le fera qu’une fois. On va se présenter les uns aux autres. De manière tout à fait logique, vu que je suis la seule que personne ne connait, je dois passer au premier tour. Et ben en fait non. Je suis prévue mais Wim et Richard font le show en premier. Mon temps est écoulé. Lorsque c’est enfin mon tour et que je me lève et ouvre la bouche, Vicky me coupe la parole sans égards et enchaine sur son programme. Même pas un mot pour s’excuser ou tout simplement me dire de m’assoir. Au final je me présenterai 2 jours plus tard, deux jours avant l’arrivée et donc 14 jours après notre départ. Bref. Qu’importe, je suis enfin en paix avec moi-même. Je m’amuse à la navigation et je barre un peu, mes deux passions.

La course va être raccourcie. Et oui, le festival qui nous attend à Derry a commencé. Nous sommes samedi. Ils nous attendent. Il n’y a plus de vent. Aucun vent, pétole pour les jours à venir. Si nous continuons comme ça, il nous faudra encore des jours pour arriver. Le comité de course a pris une décision. La course s’arrête ce soir à 20h. Le classement sera défini en fonction de la distance par rapport au point d’arrivée. Il reste quelques heures de course et les positions sont bien établies.

Le classement restera tel qu’il est: 9ème c’est pas si mal. Arès notre surplace, nous avons finalement réussi à remonter 3 bateaux c’est déjà ça ! 20h. Le coup de « sifflet » tombe. Nous ne sommes officiellement plus en course. Il est l’heure d’allumer le moteur. Fini la tranquillité de la mer et du vent dans les voiles. Fini le doux son de l’étrave qui fend l’océan. Fini les baleines et les dauphins qui jouent avec nous. C’est l’heure du diesel et de son vacarme. Ce que je vais découvrir c’est qu’en prime d’être sur la banquette sans rangement, nous avons hérité avec Bitchy de la banquette sur le diesel. Et quand je dis sur c’est bien dessus. Une minuscule cloisons nous isole des machines. De manière complètement inattendue, je vais réussir à dormir dans ce vacarme. Le fatigue doit aider ainsi que les « douces » vibrations du moteur qui me bercent dans ma couchette.

Peaks and valleys

Je vais apprendre quelque chose. Barrer un bateau de ce poids sans voile et juste au moteur s’avère quelque chose de très compliqué. Je ne l’avais jamais envisagé. Un bateau toilé prend le vent tel un avion. Le vent aspire le bateau et le garde dans son cap. Si les voiles et le bateau sont bien équilibrés, il n’y a quasi rien à faire. Dans des cas de bonne maitrise, il est même possible de manœuvrer son bateau uniquement avec les voiles sans se servir des safrans. On peut faire virer un bateau en bougeant uniquement le palan de grand-voile.

Lorsque l’on est au moteur, c’est une autre histoire. Même avec une voile centrée par exemple, le bateau prend le vent en vent arrière. Même si la voile nous aide au près, le fait qu’on ait pas de voile d’avant déséquilibre, on pivote autour de l’axe de grand-voile. Le bateau devient « vivant ». Naturellement elle veut se mettre dans l’axe du combo direction-vent afin d’offrir le minimum de résistance. Il faut en permanence corriger à la barre. Là où à la voile je maintiens un bon + / - 5° au cap compas, au moteur je me bats pour tenir un + / - 10° et surtout faire le bon cap. Selfy viendra plusieurs fois me dire que je ne suis pas au cap GPS. Et oui, le cap GPS est la résultante de toutes ces oscillations et en moyenne je ne suis pas au bon cap au final de quelques degrés. Je tire à gauche ;) Je le sais mais que ça vienne d’elle m’insupporte. Elle sera gentiment accueillie avec un « yes » les dents serrées et un regard voulant dire « dégage ».

Mais bon comme tout le monde, je veux rentrer au plus tôt et ne pas perdre des heures bêtement en n'allant pas tout droit. Nous voilà donc en route pour 2 jours de moteur sans discontinuer. Sur ces derniers jours avec Robin on va en profiter pour barrer tant et plus et nous amuser. J’ai hâte, plus que 2 jours, je compte les heures.

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Nervous breakdown

Publié le par Helene Bourdon

Nervous breakdown

Version française

J’entame mon troisième jour sans dormir. Je ne sais pas comment je fais pour tenir mais je tiens. Je ne suis étonnamment pas plus fatiguée que d’autres jours de la traversée. Je suis dans une sorte d’état surnaturel. Peut-être est-ce cela que l’on appelle l’état de transe. Je ne dors pas, je reste éveillée dans cette couchette. Je ne sais plus trop si je cogite ou si mon esprit est vide. Je n’ai pas de sueurs froides. Je suis juste éveillée. Encore et toujours éveillée quoiqu’il arrive. J’en viens à l’évidence. Tant que je n’aurais pas pris la décision une fois pour toute de quitter le bateau à l’arrivée en Irlande je ne trouverai pas le sommeil. Je le sais au fond de moi, je ne peux pas continuer comme ça. Mais comment l’annoncer. A qui le dire. Bien évidemment je dois le dire à Vicky. Mon quart également, oui surement mais à part Robin, Ed et Richard je pense que tout le monde s’en fichera.

Je passe une énième journée sur le pont. Nous en sommes à 12 jours en mer. C’est le jour du solstice d’été. Nous devons arborer fièrement des drapeaux de tous les pays et un fanion que Vicky a récupéré en Australie pour célébrer le « sailstice ». Cette photo doit aller dans un magasine nautique. Cette photo sera également mise sur le blog en ligne de Vicky. Ce sera la première et la dernière photo de moi sur le blog de Switzerland. Mes amis et ma famille à terre auront pour la première fois des « nouvelles » de moi. Je suis « brésilienne » et pas trop mal placée sur le cliché. Sachant qu’il sera publié et mon premier signe de vie, je souris sur cette photo même si le cœur n’y est pas.

Une journée comme les autres se déroule. Pas d’évènement extraordinaire. Pas de vexation. Je suis juste lasse et la fatigue me rattrape. Plus que la fatigue, l’extrême épuisement me guette. J’ai froid. La nuit tombe et j’ai froid. Il ne fait pas plus froid qu’au nord du Canada mais je suis gelée. Je me blottis au fond du cockpit et me mets en position du fœtus pour tenter de ne pas geler. Je n’ai « pas le droit » d’aller à l’intérieur, je dois être sur le pont même si je suis entre deux manœuvres. Au bout de peut-être une ou deux heures, notre chef de quart prend enfin pitié et me propose d’aller au chaud si je suis tant à l’agonie.

Nervous breakdown

Il n’en fallait pas tant pour aiguiser la bipolarité de Freaky. Au moment où j’allais enfin rentrer dans le bateau, elle se précipite sur l’échelle et me grille la priorité. Elle m’affirme qu’il faut absolument qu’elle se couche et prenne un thé ou je ne sais quel autre excuse. Freaky descendant je me vois contrainte de rester sur le pont en attendant qu’elle remonte. Elle va rester en bas jusqu’à la fin du quart sans que personne ne trouve à y redire. Je vais donc continuer à geler sur le pont sans échappatoire possible. De manière totalement hallucinante, en remontant avant la fin du quart, Feaky va me remercier en me disant que se reposer lui a fait le plus grand bien et que c’était une excellente idée. A peine est-elle remontée sur le pont que je descends enfin afin de ne pas mourir de froid.

Le deuxième quart est déjà debout. Je me dis chouette je vais pouvoir aller me coucher direct. Et ben non. Bitchy est la seule à ne pas se lever. J’attends. J’attends environ 20-30 minutes sur le pas du couloir. Elle ne se lève pas et je sais qu’elle m’a vue. Je suis assise là à côté du deuxième quart. Je ne vais pas bien. Je ne vais pas bien du tout. Au bout d’un certain temps quelques-uns s’inquiètent. Étant à moins d’un mètre d’eux, difficile de ne pas me voir. Je suis là, l’œil vide avec toute la tristesse du monde sur mon visage. Je ne veux qu’une chose: aller m’allonger et pleurer. Je suis à bout. Et Bitchy ne se lève pas. On me conseille d’aller me coucher mais je ne peux pas il y a Bitchy. Finalement, à 5 minutes du changement de quart, Bitchy se décide enfin à se lever. En passant, elle me donne une tape dans le dos de sollicitude lorsque nos chemins se croisent dans le couloir. J’ai envie de la frapper, c’est violent. Elle fait style je compatis alors qu’elle n’en a rien à faire. Ce qui me retient est juste que je serai encore une fois la grande perdante d’une telle attitude.

Ça est je suis enfin dans ma couchette. Je peux enfin lâcher. Tout lâcher. Des larmes coulent. Ça coule encore et encore. Je ne peux plus m’arrêter. Richard B, le médecin de notre bateau vient me parler. Il s’inquiète. Je ne peux m’empêcher de pleurer. Il me demande si j’ai mal quelque part. Je lui explique que je suis « juste » au 36è dessous. Il me dit que c’est normal mais qu’on ne peut pas continuer comme ça. Je lui raconte. Je lui raconte tout : les brimades, le manque de sommeil, l’envie de tout quitter. Il comprend ce que je ressens. Il avait déjà fait avec eux la manche en Australie. Ils avaient déjà été tellement odieux avec lui qu’il avait hésité à revenir pour cette manche. Il sait au combien ils ne sont pas accueillants. Il est revenu car c’est une telle expérience qu’il ne peut pas abandonner. Il sait plus faire abstraction que moi de ce genre d’évènement. La maturité surement et aussi le fait d’être un homme doit également jouer en sa faveur. Il reste avec moi un peu car il est à la navigation. Il n’a pas à être sur le pont. Il me demande l’autorisation de parler à Vicky en mon nom. Je lui accorde.

Mon quart se couche et je continue de pleurer. Je vais pleurer les 4 heures durant. Dur de me lever et me préparer pour remonter sur le pont. Je ne peux pas y aller. Je ne veux plus. C’est alors que juste après le changement de quart Vicky me demande de l’accompagner. Notre chef de quart sera également conviée. Nous allons dans la proue là où sont stockés les bouts et les voiles pour être tranquilles pour discuter. Vicky me dit que Richard lui a parlé. Elle veut savoir de ma bouche ce qui ne va pas. C’est difficile de dire pourquoi mais je ne vais pas être totalement franche. Il reste encore plusieurs jours de navigation et je ne veux pas être encore plus rejetée vu que notre chef de quart est là pour entendre ce que je vais dire. J’explique que j’ai perdu le sommeil, que je ne suis pas vraiment intégrée et que mes priorités ont changé. Je ne suis plus en phase avec ce projet et je souhaite quitter l’aventure à l’arrivée en Irlande. Je ne me vois pas passer deux fois une semaine seule à l’étranger alors que je pourrais être en France avec mes amis et ma famille dans un bon lit.

Nervous breakdown

Vicky est déçue et me propose quelque chose. Elle va me changer de poste et me faire passer à la navigation à la place de Robin en binôme avec Selfy. Je serai moins sur le pont et donc j’aurais moins froid. Elle va également donner des consignes à notre chef de quart afin qu’elle fédère un peu plus son équipe. Elle va également instaurer des animations au changement de quart du midi pour qu’on apprenne à se connaitre. Elle veut que l’on fasse un pacte. Elle a jusqu’à la fin de la traversée pour me convaincre de rester. Si à la fin du parcours je ne suis toujours pas mieux j’aurais le droit de partir. Elle me demande de retenir ma décision jusqu’à l’arrivée et de nous donner une chance. Afin de sceller ce pacte, elle veut que l’on se face un gros câlin à trois. Un beau hug avec un grand sourire à l’américaine. C’est un peu forcé mais pourquoi pas. C’est l’intention qui compte.

La rumeur se repend comme une trainée de poudre sans grande surprise. Ed vient me voir et me fait remarquer que j’aurais pu lui en parler pour soulager ma peine. Qu’il avait bien vu que ça n’allait pas mais bon ça ne tenait effectivement qu’à moi de me confier. Il a raison mais c’est facile à dire avec le recul. Quand on est dedans et mal c’est moins évident. Notre chef de quart va également venir vers moi. Je ne vais réaliser que lors de notre discussion que c’est la première fois qu’elle me parle en 12 jours. Elle me demande tout simplement d’où je viens. Elle me demande également si j’ai déjà navigué avant les entrainements de la clipper. Je suis sidérée. La personne responsable de ma vie et des postes sur le pont, celle qui est avec moi 24h sur 24h depuis 12 jours avec rien d’autre à faire que de communiquer avec son équipage ne sait pas qui je suis. Pire elle ne sait pas que je m’y connais en voile. Je lui explique que j’adore naviguer et que j’ai déjà fait des régates sur des bateaux plus petits bien sûr. Avant de me quitter, elle me lancera un « tu seras contente quand tu seras arrivée, tu pourras naviguer sur tes « petits » bateaux » (en insistant bien sur le mot petit).

C’est là que sortie de nulle part et telle une vipère Freaky surgit. Elle s’installe à côté de moi à la contre gite tout sourire :

Freaky : Alors Hélène, comme ça tu veux nous quitter ?

Moi : oui

Freaky : c’est surprenant tu t’étais si bien intégrée, tu avais le droit de régler le spi.

Je lui sors alors à peu près le même blabla qu’à Vicky, histoire d’être cohérente. C’est alors qu’elle me sort la phrase qui va éclairer beaucoup de choses.

Freaky : C’est tellement Français ! Tu es allée voir la chef sans même être venue nous voir ou parler à notre chef de quart !

Je suis sidérée. Je ne vois pas comment j’aurais pu parler à notre chef de quart, sachant qu’au bout de 12 jours elle ne s’était toujours pas inquiétée de mes compétences de navigation ou même de savoir d’où je venais ! Sans parler du côté français. Cela m’a rappelé de grands moments de racisme primaire français-anglais. Je n’avais pas réalisé mais avec certains d’entre eux, notamment les plus vieilles, cela avait certainement dû en rajouter une couche contre moi… Me voilà prévenue ! En tout cas, grâce à cette révélation je vais retrouver le sommeil. Je ne vais pas non plus dormir toute la durée de mes quarts off du jour au lendemain mais ça va aller en s’améliorant et je vais au moins fermer l’œil quelques heures par jour.

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I will survive

Publié le par Helene Bourdon

I will survive

Après ma première nuit sans sommeil, je remonte sur le pont. Je ne sais pas comment je tiens mais je tiens. J'enchaine les manœuvres et les postes tel un zombi. Je me mure dans un pseudo silence mais passe toujours de bons moments avec Robin, Ed et Richard. Tout le monde est fatigué. La routine est là depuis un moment mais elle est de plus en plus pesante. On est avant dernier, on a rattrapé un bateau, youpi! Mais rien à faire on ne ne peut rattraper notre retard et faire un podium ou être dans la première moité du tableau. Ce jour là notre watch leader est off. Elle n'est jamais mother mais elle a droit à une journée hors quart sur la traversée. Gordon va la remplacer ce jour là. Cela va casser grandement la monotonie. Tout le monde va se lâcher et rigoler. Ce n'est pourtant pas parce qu'elle avait de l'autorité ou qu'elle s'occupait spécialement de nous mais avec Gordon tout le monde a osé faire tous les postes.

Avec notre watch leader qui faisait en permanence la gueule, à chaque fois que je demandais à barrer j'étais mal reçue et je devais patienter des heures. Là avec Gordon tout le monde se sent libre. On a tous pratiqué un peu de tout. Je ne me rappelle plus très bien mais je crois même qu'on s'est mis à chanter. C'était magique. En fin de rotation, j'osais proposer la barre à Robin ou Richard sans crainte de me faire regarder de travers. Avoir simplement quelqu'un qui prend les choses avec le sourire, ça change tout, c'est incroyable.

La thérapie du sourire. Je l'avais quasi oubliée. C'est instinctif, si vous souriez aux gens ils vous sourient en retour. Laissez passer un piéton et souriez lui, vous verrez c'est magique. On se sent grandit et tellement bien d'avoir pris même pas 10s et reçu un sourire. Alors que l'on se sent méchant et petit quand on accélère pour passer avant le piéton. Des petits trucs que je n'arrivais malheureusement même plus à appliquer sur le pont.

I will survive

Malgré cette bonne journée, je n'arrive toujours pas à dormir et je passe mon temps dans ma couchette à cogiter et aller aux toilettes au milieu de mon quart off. Dès que je commence à sombrer j'ai envie d'uriner. C'est très bizarre et plus que gênant. Rentrer et sortir de la couchette étant une expédition comme expliqué précédemment. Le lendemain, quand notre watch leader reprend du service c'est fini. Fini les sourires et les roulements naturels. Cependant j'ai pris conscience de quelque chose. C'est possible et on nous a laissé faire car on est les derniers. On a plus grand chose à perdre car on a plus grand chose à gagner. Je vais alors tenter un peu plus de prendre mon destin en main et barrer par exemple.

Au final, il nous reste encore quelque chose à gagner et nous l'avions tous oublié. Vicky ce midi là, va venir nous consulter. Il reste en effet des points bonus à récupérer sur cette traversée: les points sur la pointe de vitesse. On approche de la longitude à partir de laquelle le bateau ayant franchit la distance entre 2 méridiens le plus vite remporte des points de victoire. Nous ne pouvons plus gagner la course mais nous ne sommes pas trop mal situés pour tenter ce record. Nous avons du vent et sommes bien positionnés par rapport aux autres bateaux sur cette veine de vent. Cependant il faut faire un choix. Soit on mise tout sur ces points là et on dévie de l'objectif final (Derry) soit on vise une remontée directe pour gagner quelques points au classement. Si on est deuxième en vitesse, on ne gagne rien et on perd quelques places de classement (ou non). On est pas mal cependant, un bateau a activé son mode "fantome" et nous ne savons pas où ils se situent et s'ils vont tenter la course.

Vicky appelle au vote. Personne ne vote pour le record de vitesse. On est pas sûr de gagner. Et au contraire, on veut rentrer et sauver la face en tentant de grappiller quelques places. ça rouspète au niveau de l'équipage. Freaky et Selfy, par exemple, se plaignent que Vicky est le skipper et qu'elle ne devrait pas nous concerter. C'est à elle de prendre la décision car elle est à même de savoir ce que l'on peut ou non faire. J'avoue que je n'étais pas tout à fait tranchée mais j'ai voté comme la majorité pour ne pas en rajouter à mon cas ;) D'autres personnes parlent dans son dos également. Au lieu de la mettre en position de leader qui consulte, ils la mettent dans une position de personne qui ne sait pas ce qu'elle fait. Sans doute est-ce lié à d'autres actions qu'elle a du perpétrer par le passé. Donc bon, le vote étant fait, Vicky est dans l'impasse et malgré son envie de tenter le coup se voit contrainte de suivre la majorité et de viser l'arrivée direct.

I will survive

La nuit vient de tomber. Je suis à la barre. J'ai passé un bon moment. Il y a du vent. On file bien. C'est très agréable car il n'y a pas de houle. A la fin de mon tour, je passe la barre à Richard qui est ravi. C'est à ce moment là que Vicky surgit sur le pont. "We crossed the line, go go go, let's go fast!". Elle vient de changer de stratégie et à l'encontre du consensus elle a finalement décidé que nous allons tenter notre chance aux points de "vitesse". Elle va nous booster pour aller vite. Sur les prochaines heures, nous allons devoir tout donner. On donnait déjà tout donc on ne sait pas trop quoi faire de plus, mais finalement ça dynamise un peu tout ça. Nous allons nous re-concentrer un peu plus sur les réglages et le cap. Vu que seul le temps compte, on va viser au plus court le 2è méridien. C'est un compromis entre orthodromie et vitesse.

Nous venons de changer l'écoute du yankee dans l'après-midi. Le bout est tout neuf et glisse. Le vent est fort et le yankee un peu surdimensionné par rapport au vent. Vu que nous sommes en course, nous ne changeons pas de voile d'avant. On se retrouve avec un bateau trop gité et une écoute qui glisse/craque sur le winch. Pas sure qu'on y gagne... Bref, je ne dis rien pour ne pas être prise pour une râleuse. En revanche, le bout glissant sur le winch il faut souvent reprendre. Le bout est énorme et le winch également. J'ai peur de manipuler l'écoute. Je ne me sens pas la force de le faire en sécurité. J'exprime mon inquiétude à mes voisins de poste. Je suis ok pour wincher ou le reste mais pas pour aller manipuler au winch. Ce qui devait arriver arrive et notre chère watch leader m'ordonne d'aller sur le winch. Je refuse. Elle le prend mal et met encore ça sur le dos de ma "fainéantise". Je lui explique pourquoi mais je ne la sens pas convaincue. Heureusement Richard ira à ma place spontanément pour couper court.

I will survive

Bien évidemment ce revirement de situation pris par Vicky toute seule ne passera pas bien au niveau de l'équipage. "Elle a encore décidé toute seule" "pourquoi elle nous a fait voté si elle avait déjà décidé"... Bref, jamais contents. Je pense surtout qu'elle a vu qu'on avait un créneau et vu qu'on ne pouvait plus gagner grand chose au classement elle a tenté le coup et c'est pas déconnant. Nous allons faire une super performance. Sur les 24h de course à la rapidité nous allons être les plus rapides. Cependant, le bateau en mode fantôme était bien plus haut en latitude que nous. Il est effectivement allé moins vite que nous en vitesse pure, mais il avait moins de miles à parcourir. C'est donc cet autre bateau qui a gagné au final avant un temps de parcours moins long de quelques minutes à peine. Nous serons seconds encore une fois.

L'équipage ne va forcément pas se priver de dire que c'était une mauvaise décision et qu'elle a mal joué. Je ne la blâme pas personnellement mais je me dis vraiment qu'elle n'a décidément aucun esprit fédérateur et qu'elle n'a pas son équipage avec elle. Cela doit être dur de passer un tour du monde et 10 mois enfermé avec des gens qui ne vous aiment pas et qui ne vous soutiennent pas. Après c'est son choix d'y travailler ou de laisser pourrir la situation. Je ne vais encore pas dormir en ce qui me concerne. On en est à 48h sans dormir.

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Sleepless in Atlantic ocean

Publié le par Helene Bourdon

Sleepless in Atlantic ocean

Version française

Après cette épouvantable journée en tant que mother, j'ai enfin l'opportunité de faire une vraie nuit de sommeil. J'ai en théorie 8h pour dormir. C'est clé pour se remettre. Deux choses vont m’empêcher d'en profiter comme il se doit. La couchette en hauteur côté contre gite et les aléas de la journée. Pour éviter de "chuter" j'ai mis une extrême attention à faire mes nœuds de maintient de la bannette. Je les ai doublés et testés. Je suis bien emmaillotée dans mon sac de couchage, sécurisée et fatiguée. A peine je sens l'apaisement me gagner que j'ai envie d'aller aux petits coins. Après toute cette énergie à faire de beaux nœuds j'ai la flemme de tout défaire pour pouvoir descendre. Et oui si je ne rabaisse pas la bannette je ne peux pas descendre, je ne touche pas la bannette du dessous. Pour descendre je dois redescendre un peu ma bannette, mettre les pieds en appui sur le mur en face, pivoter et me laisser basculer le long du borde de la bannette. On est tellement gité que je pourrais presque marcher sur le mur d'en face.

Bref après de longues minutes je me rends à l'évidence, je dois descendre. Je sors avec peine de mon sac, fais les acrobaties nécessaires à la descente, cherche des chaussures (on a pas le droit de marcher pied nu), me traine tant bien que mal vers les WC en essayant de ne pas me défoncer un orteil ou la tête au passage. Une fois arrivé il faut tenir en équilibre sur le micro WC, pomper en se labourant le haut de cuisse puis faire le chemin inverse. Arriver de nouveau au niveau de la bannette, on enlève les chaussures, on commence l'ascension, on sécurise la bannette et enfin on tente de s'enfiler dans son sac de couchage. On a 30 cm d'espace en hauteur pour s'y glisser, se changer ou tout autre activité nécessaire. Cette expédition a terminé de me réveiller. Il est sans doute aux alentours de minuit.

Sleepless in Atlantic ocean

Du coup je repense à cette journée. Au lieu d'être le moment de fraicheur et de décompression dans un autre environnement, cette journée fut une lutte permanente ponctuée de brimades. Forcément je cogite. Qu'est-ce qui a bien pu m'amener à cette situation. Qu'ai-je pu faire ou laisser penser qui aurait pu entrainer tout ça? Est-ce que je le mérite? Est-ce normal? Dois-je l'accepter? Y-a-t-il des chances pour que ça aille mieux? Je commence à avoir des sueurs froides. Je ne vais pas bien. Je suis vraiment affectée. Je suis au plus mal. J'ai rarement été aussi mal dans ma vie. C'est dur, très dur. Le moral est au plus bas. Et je repasse en boucle les évènements qui auraient pu se passer autrement.

Si j'avais reçu le mail de Greg 1 an plus tôt, j'aurais participé au week-end de team building et ils m'auraient connu avant le départ. Si j'avais attendu la course 2015-16 comme initialement prévu j'aurais pu faire mes entrainements avec mon équipage et le connaitre au lieu d'être la seule que personne n'a jamais vu et ne connait. Si nous avions navigué à New-York tous ensemble comme n'importe quel autre équipage, ils auraient appris à me connaitre dans un contexte moins stressant que la course. Quand Freaky a demandé qui voulait barrer, ou jouer les navigateurs si je m'étais prononcée au lieu de rester réservée, j'aurais peut-être vécue une toute autre traversée. Si j'avais pu donner des garcettes à Freaky quand elle m'en a demandé au lieu de me les faire prendre des mains par Wim et d'en rire, peut-etre qu'elle n'aurait pas interprété ça comme un refus de l'aider. Je souriais car pour tous les nouveaux il y avait une sorte de petite compétition pour trouver se place. Il avait sans doute couru pour se mettre en avant. Et moi j'avais laissé faire et se faisant Freaky m'avait mis dans la case "feignante" ou "rebelle". Je ne saurais jamais. Beaucoup de si avaient tourné dans ma tête cette nuit là.

Sleepless in Atlantic ocean

Il me semble que je n'ai quasi pas dormi. Je suis à bout de force et je dois prendre mon quart alors que je suis sensée être au top après une vraie nuit de repos. Au lieu de ça je suis à bout physiquement et nerveusement. En montant sur le pont j'ai froid. Je suis gelée. Je suis frigorifiée, ça atteint le niveau des iceberg watch pourtant il fait bien moins froid. Je suis comme figée par mes pensées et le froid. Ed remarque tout de suite que ça ne va pas. Il me demande ce que j'ai. Je n'ose pas lui parler. Je mélange tout et me met à pleurer. Je repense au frère de ma belle-sœur en Ukraine qui risque de partir au front simplement s'il loupe son examen de fin d'année. S'il ne fait pas d'étude il est enrôlé d'office. Ce jeune garçon de 18 ans qui aime jouer sur son PC et coder va potentiellement se battre et risquer sa vie alors qu'il y a à peine quelques années on se baladait tranquillement en paix à Kiev. Je repense à toute cette nature sublime qui nous entoure. Ces dauphins, ces baleines, ces thons, ces espadons et tout cet océan que nous massacrons pour avoir des sushis et du poisson sur toutes les tables du monde. Je fais une sorte de nervous break down et j'ai le moral au plus bas. Ed sent bien que quelque chose d'autre se cache sous ces histoires mais n'arrivera pas à me sortir les vers du nez.

J'ai peur. J'ai peur de partager mon ressenti. Et s'il en parle. Si Freaky et Selfy se mettent à se braquer encore plus contre moi. Et si ça mettait les rounds the worlders encore plus en rogne contre moi. "oh la pauvre petite, on l a pas assez aidé" "c est normal tu es personne sur ce bateau". Je psychote et me sens diminuée. Je me sens minable pourtant au fond de moi je sais que je ne le suis pas. Je suis en lutte avec le fait de devoir m'écraser pour exister et exister en tant que moi. Je me dis que je ne mérite pas ça. La seule fois de ma vie où j'ai été aussi mal était quand mon premier chef me faisait du harcèlement moral. Rien au monde ne justifie ça. J'ai mis des mois à réaliser que ça en était. Premier job = pas de référence. heureusement pour moi je n'étais la seule victime et il a été muté. J'ai mis des années à m'en remettre. Je ne veux pas retomber là-dedans. Remonter la pente est trop long et trop difficile.

Sleepless in Atlantic ocean

Comment le dire? A qui le dire? De quelle façon? Mon intégration est déjà pitoyable, comment vais-je survivre à la fin de la traversée si je leur annonce qu'à l'arrivée je me barre. J'aurais déjà fait le plus dur avec la transat. Il ne reste qu'une semaine de festivités à derry puis 4-5 de mer pour contourner l'écosse (ce que j'attendais avec impatience), 1 semaine d'escale à Den Helder en Hollande puis 24h de sprint jusque Londres pour remonter la Tamise. Les étapes de navigation seront courtes. Je pourrais éventuellement survivre. Le plus gros problème concerne les étapes. Je ne me vois plus passer deux fois une semaine seule en Irlande ou en Hollande dans ce niveau de déprime. Seule sur un bateau pendant que les autres se sont loués des maisons ou des apparts auxquels je ne suis pas conviée. Rien à faire à part cogiter vu que personne ne viendra me voir. Je ne ferais qu’aggraver mon état de déprime et perdre 3 semaines de congés dont j'aurais bien besoin pour me remettre.

Naviguer autour de l'écosse je peux le faire autrement. Remonter la Tamise c'est sans doute un trip d'anglais. J'ai déjà remonté la Loire et sur le Belem en prime! Je préfère garder 3 semaines de congés pour partir avec des gens qui apprécient naviguer avec moi, m'apprécient et que j'apprécie! J'ai payé une somme énorme pour faire ce voyage et je ne serai pas remboursée. Je fais alors un calcul savant. Participer à cette course m'a couté 15 000 euros. Je peux réduire ça à une traversée de l'atlantique ou alors je peux voir plus loin. J'ai fait 4 semaines d'entrainement avec des professionnels. J'ai rencontré des gens extraordinaires de partout dans le monde pendant les entrainements et même dans mon équipage. J'ai navigué sur des 68 et des 70 pieds. J'ai navigué sur l'Hudson à New-York par un magnifique dimanche de juin. J'ai mis un an à préparer cette aventure. J'en ai profité pour récolter des fonds pour Mercy Ships et me faire connaitre au sein de ma boite. Bref, l'aventure englobe bien plus que les étapes de la course. Au final en finissant la traversée, j'aurais accompli le plus dur et le plus important. En gros je vais louper les étapes promotionnelles de la course sans grand intérêt humain. La décision est prise et je n'ai plus de regret. Je vais mettre 4 jours à en arriver là et oser annoncer qu'arrivée à Derry je ne poursuivrai pas l'aventure. A suivre au prochain épisode :)

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The beginning of the end

Publié le par Helene Bourdon

The beginning of the end

Version française

Nous sommes du quart de milieu de nuit. Demain je suis de nouveau mother pour la journée. Je vais enfin pouvoir prendre une douche et dormir plus de 3h d'affilé. Cela fait 10 jours que nous sommes en mer et la fatigue est bien présente. La fin de quart est proche. On m'envoie faire les boissons chaudes, la mother du jour est off. Je suis en bas et fait 2-3 cafés/thés. Vicky est réveillée et dispo en bas près de la cuisine. On se met à parler. Pour la première fois depuis que l'on se connait nous avons l'occasion de nous parler. Et forcément de quel sujet parlons nous? de voile! Nous partageons nos expériences et récits de mésaventures entre autres. Nous passons un bon moment et une bonne entente s'installe. Je lui demande ses projets d'avenir et c'est là que nous sommes interrompus. Le vieux cuisto m'interpelle et me lance sans ménagement: "quand tu auras fini de discuter peut-être que tu pourras me servir un thé". Je ne sais pas si c'était contre moi ou contre le fait que je parle avec Vicky mais j'ai trouvé cela extrêmement mal venu et rude. D'autant plus qu'il aurait très bien pu se servir lui même et je n'étais pas la mother du jour à ce moment là.

Après avoir servi le vieux cuisto, je vais réveiller la mother du jour en binome avec moi ce jour là. Elle doit faire le service pour son quart qui se lève avant qu'il ne monte sur le pont pour le changement d'équipe. En gros, il faut faire des boissons chaudes et disposer des snacks en libre service. Bitchy m'envoie pour ainsi dire chier. Elle conteste le fait que ce soit à elle de faire les boissons chaudes et me dit que c'est à moi. Elle refuse de m'écouter et me dit que je n'ai rien compris et que ça c'est toujours passé comme cela. Je suis un peu surprise car pour moi c'est la deuxième fois et pour elle la première. Il est visiblement impossible de ne serait-ce que discuter donc j'abandonne et me retrouve à servir le thé à son quart et elle à monter sur le pont pour faire le changement de quart. Je suis quelque peu énervée et n'ai pas vraiment envie de servir les boissons à mon quart quand il redescend. Dès qu'elle redescend, je m’éclipse pour aller enfin me coucher. Étant passablement énervée, le sommeil sera malheureusement difficile à trouver...

The beginning of the end

La fin de ma période de sommeil arrive. Bitchy vient me réveiller avant mon quart pour que je l'aide à préparer le petit déjeuner. Cela ne se passe pas trop mal en comparaison de ce qui s'était passé 3h auparavant. Nous servons les 2 quarts, je fais la première vaisselle et elle la seconde. Je lui dis qu'elle peut aller se coucher et que je la réveillerai vers 11h pour m aider à finir le repas. Encore une fois elle me rejette, elle affirme que ça ne se passe pas comme ça et que le jour où on est mother on est sur le pont 24h sans dormir. Je lui explique que ce n'est pas comme ça que ça s'est passé pour moi et que vu notre état de fatigue ce n'est pas possible de tenir 24h. Se reposer quand il n'y a rien à faire est à prendre et être à 2 pendant le rush fait en revanche du sens. Elle n'est pas convaincue. Au final je lui dis fais comme tu veux mais je te préviens après la vaisselle du midi j'irai me reposer avant que l'on prépare le souper. Elle me dit si tu veux mais à ce compte là tu n'as pas le droit de dormir dans notre lit. Nos sommes binômes de banquette. Je ne comprends pas trop et lui demande de répéter. Elle affirme qu'elle m'a fait une fleur en me laissant nous "imposer" la banquette du bas au depart et que je dois dormir dans la banquette libre pour la mother en hauteur. Je conteste mais elle affirme que je n'ai pas d'autres choix et qu’aujourd’hui je ne dormirai pas dans notre banquette même quand elle n'y est pas.

Je la laisse dire et m'en vais de se pas voir le vieux cuisto. Je suis sensée faire du pain pour le repas de ce midi. Nous avons tout ce qu'il faut pour faire du pain: de la farine, de la levure, un thermomètre à pain et un four. Je suis donc les consignes du vieux cuisto. Je dois pétrir encore et encore la pâte. Je tire sur les extrémités et remets au centre puis repétrie. Je dois ensuite laisser reposer et répéter plusieurs fois la manœuvre. Pendant que la pâte repose je suis sensée la couvrir. Je me trouve face à un dilemme. Le vieux cuisto veut que je recouvre avec un torchon de vaisselle et Greg me l'interdit pour une question d'hygiène. Je peux écouter Greg qui a raison. Mais il n'est pas dans mon quart et si je fais ça j'énerve le vieux dans mon quart qui ne m'apprécie pas trop mais dont j'ai besoin pour cuir le pain... Je choisis de ne pas mettre de torchon mais le vieux cuisto le fera dans mon dos. Je fais gonfler le pain plus que lui ne l'aurait fait. Mais j'avoue que je n'aime pas son pain, c'est plus du krisprolls que du bon pain français (il est danois). Je le fais lever un peu plus longtemps donc plus. Il m'incendie. Au final nous mettons tout ça au four et je suis ses consignes à la lettre. Dès que la température au milieu de la miche atteint 180 degrés je sors du four. Mon pain sera délicieux et ravira les papilles de tous. Il est tellement bon qu'ils le mangeront avec de l'huile d'olive en apéro!

The beginning of the end

Nous servons le repas de midi que j'ai préparé. Bitchy m'a suivi pendant toutes les premières étapes du pain puis est allée se coucher. Je fais la vaisselle puis une fois que tout est fini je l'informe que je vais aller faire une sieste. Elle refuse. Elle prétend qu'elle est restée pour moi et que je devrais en faire de même. Je lui rappelle qu'elle est restée uniquement parce qu'elle le voulait bien et que j'avais besoin de me reposer. Je lui propose de me réveiller vers 15h30 16h pour pouvoir l'aider à préparer le souper pour 18h. Elle me "laisse" y aller en me maudissant. Je me dirige alors naturellement vers mon lit. A peine posée sur la couchette qu'elle se rue sur moi pour me sortir du lit de force. Je ne dois pas dormir dans "son" lit mais sur la couchette de la mother. Vu la hauteur de sa connerie et son état d'énervement, je me dis qu'il vaut peut-être mieux que j’évite un conflit de plus grande ampleur et me dirige vers la couchette en hauteur. Ma watch leader y est installée. Elle déteste son lit qui est du côté des mecs. Il lui donne des boutons (effectivement elle avait des marques). Je lui explique que je suis désolée mais que l'autre folle refuse que je dorme dans mon lit. Elle s’exécute également et fait un échange de lit avec Gordon qui va dormir chez les mecs tout en me lançant un regard méprisant au passage. Super grâce à l'autre tarée je me fais haïr par mon quart un peu plus...

Du coup forcément je me retrouve à 2-3 mètres de haut si on compte la gite, à tenter de dormir avec les histoires bitchy et la frousse de tomber pendant mon sommeil. Je ne vais pas fermer l’œil de ma tentative de sieste. Sueurs froides, angoisse, questionnement sur ce que je fais là. Comment faire pour rendre cette aventure moins horrible... Finalement mon manque de sommeil va me sauver la mise. Mon nœud pour relever la couchette va lâcher et ma banquette se libérer en un gros crack. Ce qui va m’empêcher de finir par terre et me casser une jambe ou une épaule ce sera le fait que je m'agrippais en permanence au casier dans le mur pour m’empêcher de basculer. Au bout d'une heure je n'en peux plus et me lève. Je vais voir Bitchy et lui demande si je peux l'aider. Elle refuse catégoriquement. Il est hors de question que je l'approche ou que je touche à "sa" cuisine. Je me mets donc avec son quart et on commence à faire des bouts de fil pour le spi. Ma première binôme de mother descend du pont. Elle me regarde méchamment et demande à Bitchy si je refuse de l'aider. Elle aura au moins la décence de dire que non. Après j'imagine que l'autre la croit ou non et aura tendance à mettre le mal sur moi, le petit mouton noir...

The beginning of the end

Après le repas du soir Bitchy va enfin se coucher. Je suis enfin seule et libre de mes mouvements. Le vent est stable depuis un moment et je ne fais pas grand chose en bas. Je demande l'autorisation pour prendre une douche. C'est le seul privilège des mothers. Elles peuvent prendre une douche quand il y a du temps. Ma watch leader est ok mais pour être sure de ne pas me faire mettre quelque chose d'autre sur le dos je demande confirmation à Vicky. J'ai sa bénédiction. Ce n'est pas la douche du siècle car se laver dans de minuscules toilettes avec un débit faible n'est pas vraiment l'extase. Mais enfin retirer la crasse de mes cheveux et pouvoir être vraiment propre sans liquide de lingette est bienvenu. J'ai bien fait de demander l'accord à VIcky. Pendant ma mini douche, il va falloir faire un changement de spi. Je ne suis pas disponible à la manœuvre et on me cherche. Il manque des bras. Vu que je suis doublement couverte on ne peut me le reprocher.

Je me dis quand même que je ne suis pas bien dans cet équipage. Tous les bons moments avec les bonnes personnes valent le coup. Le dépassement de soi et l'immensité de temps pour réfléchir à soi, ma vie, ce que je veux faire n'a pas de prix. Mais je ne mérite pas d'être traitée de la sorte. Je ne mérite pas d'être rabaissée et inconsidérée et regardée de haut. Je ne suis pas une mauvaise personne et je ne pense pas leur avoir fait le moindre tort qui justifie l'attitude de certaines personnes. Pour la première fois je suis convaincue que je dois quitter l'aventure dès l'arrivée. Je n'ai pas d'autre solution si je veux me respecter. Et ne pas devenir à mon tour complètement psychotique!

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From second to... last

Publié le par Helene Bourdon

From second to... last

English Version

After about a week of sailing, we leave the current full of iceberg from Labrador / Greenland. We no longer cross the Gulf Stream but the temperature rises a bit and the wave's height decreases. As explained in a previous article, there are three ways in order to earn points for this race. And we won our first halfway point by being second. Only the first and the second win midterm points. We were proud of our performance. Our constant focus and our total commitment finally paid of. To support the intense concentration and physical effort I adopted a strategy. We only have 4 hours or 6 hours max between each watch for refreshing, dressing, sleeping, eating and relaxing. I maximizes initially my sleeping time. As soon as I was finished eating, I was rushing to my bunk trying to sleep. I was the only one to do so. Fatigue helping, nerves gradually breaking, I gradually lose the ease to fall asleep. Quickly I start to hear them when they go to bed laughing and chating a lot close to my bunk. It annoys me. I wonder why they do not remain in the square to talk.

Then after a few watches, I realize I made a tactical error. Theses kind of moments where you can discuss and exchange freely are rare. These are our precious times as a crew. And finally, since I joined I did not participate! On deck they don't exchange between each others, but at bedtime, they release tension and laugh about everything and nothing. It does not last long but they probably release the accumulated pressure. From my sleeping side, I am the only one not "round the Worlder". I guess it's a kind of ritual they have developed during this year going around the world. And without knowing it, I was excluded myself from that tradition.

From second to... last

After the passage of this virtual halfway portal, we will be facing a passage between an anticyclone and a depression. Two large weather systems are facing. We must pass between the two to reach the east coast of the Atlantic. This passage is really double or nothing. The anticyclone and depression suck to them all air around. There is an area with no air in between. If you go above this area you have wind. Below, also. In the middle, woe to you, there not a breath of air will come to your rescue before long. Vicky, our skipper, is The weather expert among the skippers of the Transat. She explains everything. She draws for us the position of the two weather systems on the whiteboard, the position of our boat as well as the ones of our main competitors. Whatever happens we have to cross, no way around. She offers us a way point. Anything can happen, but she is confident. However she warned us that everything would be played that night. If we do not pass we can be stuck for days.

The night begins to fall and the wind drops. When we go to bed we are already using a code 0 (the largest spinnaker). At the end of our watch off when we go up on deck, it is total absence of wind. It is dark night and no air on the horizon farts. The boat has never been so still. We change sail to Windcatcher. An even lighter sail than all the sails I've never seen. It looks like a giant kite. It can be use only when desperate because it is very thin and can break at the slightest rise. One might think that we are alone in the world without any noise but unfortunately not. The lack of wind violently beat the mainsail. It is not stable because the slightest whirlwind snaps. The balm is not moving but the sails of 400m² oscillate in violent jolts. The perpetual noise of the mainsail flapping quarter our pace and swung the boat keel. I'll be designated to try to trim the Windcatcher as an expert in spi trimming. This is my first time and given the total absence of wind, I found myself a bit lost not really knowing what to do.

From second to... last

Version Française

Après environ une semaine de navigation, nous sortons du courant plein d'iceberg en provenance du Labrador/Groenland. Nous ne croisons plus le golfe stream mais la température remonte un peu et la hauteur de la houle diminue. Comme expliqué dans un précédent article, il y a 3 façons de gagner des points sur cette course. Et nous remportons notre premier point à mi-course en étant en seconde position. Seuls le premier et le second remportent des points à mi-parcours. Nous sommes fiers de notre performance. Notre concentration permanente et notre engagement total ont sans doute porté leurs fruits. Afin de supporter la concentration intense et les efforts physiques j'ai adopté une stratégie. Nous n'avons que 4h ou 6h entre chaque quarts pour la toilette, se changer, dormir, manger et nous détendre. J'optimise dans un premier temps au maximum mon temps de sommeil. Dès que j'ai fini de manger je me rue sur ma couchette pour tenter de dormir. Je suis la seule à le faire. La fatigue aidant, et donc les nerfs cédants, je perds peu à peu la facilité à m'endormir. Rapidement j'entends les autres venir se coucher après moi et rigoler et papoter à mes côtés alors que j'essaie de m'endormir. Cela m'agace fortement, je me demande pourquoi ils ne restent pas dans le carré pour parler.

Puis au bout de quelques quarts, je me rends compte que j'ai fait une erreur tactique. Ces moments avant de se coucher sont les rares où l'on peut discuter et échanger en toute liberté. Ce sont nos rares moments privilégiés en tant qu'équipage. Et au final, depuis que je suis arrivée, je n'y participe pas! Il n'échange que très peu entre eux sur le pont, mais le moment de se coucher, ils libèrent la tension et rigolent de tout et de rien. Cela ne dure pas très longtemps mais ils relâchent sans doute la pression accumulée. De mon bord de couchettes, je suis la seule non "round the worlder". J'imagine que c'est une sorte de rituel qu'ils ont développé au cours de cette année à faire le tour du monde. Et sans le savoir, je m'étais exclue de cette tradition.

From second to... last

Après le passage de ce portique virtuel à mi distance, nous allons être confronté à un passage entre un anticyclone et une dépression. Deux gros systèmes météo se font face. Nous devons passer entre les deux pour atteindre la côte est de l'atlantique. Ce passage est vraiment quitte ou double. Les deux anticyclones et dépressions aspirant à eux tous les airs alentours, il y a une zone sans air entre les deux. Si vous passez au-dessus de cette zone, vous avez du vent. En-dessous, également. Au milieu, malheur à vous, car là pas un brin d'air ne viendra à votre rescousse avant longtemps. Vicky, notre skippeuse, est l'expert météo parmi les skippers de cette transat. Elle nous explique tout ça. Elle nous trace la position de ces deux systèmes météo sur le tableau blanc, la position de notre bateau ainsi que celle de nos principaux concurrents. Quoiqu'il arrive nous devons traverser, pas moyen de contourner. Elle nous propose un point de passage. Tout peut arriver mais elle est confiante. Elle nous averti cependant que tout peut se jouer cette nuit là. Si on ne passe pas on peut rester bloquer des jours.

La nuit commence à tomber et le vent faibli. Lorsque nous allons nous coucher, nous sommes déjà passé au code 0 (le plus grand spinnaker). A la fin de notre quart off, lorsque nous remontons sur le pont, c'est l'absence de vent la plus totale. Il fait nuit noire et pas un pète d'air à l'horizon. Le bateau n'a jamais été aussi immobile. On est passé du code 0 au windcatcher (attrapeur de vent). Une voile encore plus légère que toutes les voiles que je n'ai jamais vues. On dirait une voile de kite géante. Elle ne peut être sortie qu'en cas désespéré vu qu'elle est très fine et pourrait se briser à la moindre risée. On pourrait croire qu'on est seul au monde sans le moindre bruit mais malheureusement non. L'absence de vent fait battre violemment la grand voile. Elle n'est pas stable car le moindre petit tourbillon la fait claquer. La baume ne bouge pas mais les 400m² de toiles oscillent par à-coups violents. Le bruit perpétuel de cette grand voile qui claque rythme notre quart et fait osciller le bateau sur la quille. Je vais me retrouver à tenter de régler le windcatcher étant identifiée comme experte au réglage de spi. C'est ma première et vu l'absence totale de vent, je suis perdue ne trouvant pas vraiment quoi faire.

From second to... last

Au final, on me laissera aux réglages en binôme avec notre watch leader à la barre quasi tout le quart, les autres tentant de faire la gite regroupés au niveau des haubans. C'est alors que je me rappelle ce que m'avait expliqué team winds sur le vent léger. En théorie, moins il y a de vent et plus il faut augmenter la voilure. C'est une règle et comme toute règle il y a une exception. L'exception est quand il n'y a absolument plus de vent. Si vous relachez complètement votre voile, le peu d'air qu'il y a n'aura jamais la force de faire le tour de votre voile bombée et votre bateau n'avancera pas. Il faut alors retendre la voilure tout en étant à pleine voilure. Au lieu de se perdre dans les courbes, vos rares brins d'air peuvent éventuellement se trouver accéléré et initier le mouvement du bateau. Je propose cette option à la watch leader et je rajoute qu'au pire ça évitera de faire claquer la grand voile et de l'endommager. Elle est ok avec ma proposition vu que de toute façon ce que nous faisons ne fait pas avancer le bateau. Je reprends alors de la bordure de grand voile. N'étant pas vraiment à l'aise avec l'équipage ni confiante à 100% dans ma proposition, je n'en reprends pas beaucoup et l'effet sera négligeable. Etant donné que c'est ma première proposition, j'ai peur de me tromper et qu'on ne m'écoute plus du tout par la suite...

Quand Vicky nous rejoint, notre watch leader lui fait part de notre action, Vicky n'est pas convaincue mais voit bien qu'on a pas repris tant que ça de bordure et du coup nous laisse avec ce pseudo réglage. Le quart est interminable vu qu'on n'avance pas. Je vais faire cette nuit là cependant une belle découverte. Depuis quelques quarts, lorsque je pompe aux toilettes, je vois comme des points phosphorescents. Je me dis alors que mes yeux commencent à déconner et l'attribue à la fatigue. Il n'en est rien. Alors que nous serons à la gite, je vais observer ces points lumineux sur l'océan lui-même. Il s'agit de plancton phosphorescent. Il y en a partout. Il illumine la surface de l'océan à perte de vue et vient lécher la coque de notre bateau. Avec ce ciel étoilé complètement dégagé, c'est une expérience extraordinaire. Peut-etre même la plus mémorable de cette aventure avec la navigation entourée de baleines.

From second to... last

Nous allons passer en tout près de 48h sans bouger. Notre trace GPS fait peur, elle donne l'impression que nous tournons en rond. On ne peut rien faire car sans air impossible de sortir de la zone. Tous nos concurrents les uns après les autres s'en sortent mieux que nous. Ils passent soit juste au nord soit juste au sud mais aucun ne subit ce que nous endurons. Deux nuits pleines et une journée entière à quasi reculer. On guette l’horizon à la recherche de la moindre risée mais rien n'y fait. Le watch leader de l'autre quart montera même au mat en quête de la moindre possibilité mais rien. Rien du tout. Le hasard (ou pas d'ailleurs) voudra que ce soit pendant ces 48 heures là que le banc de baleine nous tienne compagnie. Les deux fois aux alentours de midi, là où les deux quarts peuvent en profiter. Cela permet de détendre l'atmosphère et de clairement faire passer le temps!

Ce jour là, Vicky nous lira un petit message de la part d'Eric Holden, leader de la course. "Cher team Switzerland. Nous avons fait une nuit sans performance et nous craignons d'être les seuls. Alors que nous aussi nous galérons au sein de ce trou de vent, quelle n'est pas notre surprise à l'annonce journalière des positions de la flotte. Nous découvrons que certes nous avons été mauvais, parmi les plus mauvais, mais nous ne sommes pas les derniers. Team Switzerland a fait pire que nous. Nous avons reculé mais vous avez encore plus reculé que nous. Alors je tenais à vous dire merci car vous nous avez fait nous sentir un peu moins nuls!" Ce ne sont pas ses termes exacts mais l'idée est là. Il a bien raison. Malgré les mesures et théories de Vicky, nous sommes passés pile poile là où il ne fallait pas et nous nous retrouvons bons derniers et scotchés dans ce trou de vent. Non seulement on s 'est fait doublé mais on accumule du retard le temps de sortir de cette zone! Un retard que nous ne pourrons rattraper et nous le savons.

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