Apprentissages
Bonjour à tous,
3 ans après et une émission de France inter plus tard me revoilà. J'ai écouté cet après midi dans la voiture, de retour des vacances de Noël, une émission forte intéressante sur la fameuse Fastnet Race de 1979. Ils y relatent les différents évènements de ce drame via un narrateur qui l'a vécu:
https://www.franceinter.fr/emissions/affaires-sensibles/affaires-sensibles-12-decembre-2016
S'en suit une discussion sur le contexte et les apprentissages associés. Ce qui est également intéressant est que ce reportage est en complet alignement avec ce que j'ai pu apprendre ou vivre lors de ma propre aventure aussi bien lors de mon cours de survie en mer que concernant le décalage entre les marins anglais et français. Concernant mon apprentissage, je vous renvoie vers mon article "sea survival". Concernant le décalage français-anglais, j'ai enfin eu quelques réponses.
Il est relaté qu'en Angleterre le marin/skipper est le seul maitre à bord et donc responsable de prendre la mer ou non en cas de tempête/ouragan. Effectivement, lors de mes entrainements, nous avons bravés à de multiples reprises un force 8 avec des rafales à force 10 lors de nos traversées de la manche au moment même où en France le départ de la transat Jacques Vabres était décalé afin de préserver les marins et les bateaux. Il en a résulté 2 marins à l’hôpital sur le deuxième bateau qui faisait la course avec nous et la mort d'une grand voile et d'un yankee sur mon bateau!
Quelques années auparavant, lors d'un entrainement des Glénans en Irlande à Baltimore, l'ouragan Katia était annoncé approchant des côtes irlandaises. Rien y à fait, la base nous a envoyé en mer et interdit d'y revenir dormir car on était là pour apprendre! Heureusement, nous avons été raisonnables et avons dormi de l'autre côté du golfe, au port. Des rafales à plus de 100 km/h et des creux de plus de 6 mètres nous ont "bercé" toute la nuit. Autant dire que nous n'avons rien dormi et surveillé nos amarres en permanence. Deux jours plus tard, j'allais à mon tour virer le fameux Fastnet pour mon plus grand plaisir avec plus de 4 mètres de creux certes, le vent ayant chuté mais pas la houle. Mon skipper jugeant enfin possible la sortie en mer.
Comme expliqué dans le podcast, en France le comité de course est responsable en cas de casse à l'inverse de l'Angleterre où c'est le skipper, comme j'ai pu l'expérimenter. De ce fait, l'organisme de formation ou la Clipper Race n'étaient pas tenus de nous protéger tel que je l'aurais personnellement attendu.
Le rapport à la mer est bien différent également concernant la gestion du risque à bord. En Angleterre, on peut passer des diplômes de skipper for the day. Ce qui signifie qu'en gros même si on ne maitrise pas tout, on peut faire des sorties en mer à la journée en tant que skipper avec juste quelques bases. En France, déjà on ne peut pas passer de diplôme et encore moins pour la "journée". C'est avec l'expérience qu'on acquiert les compétences nécessaires pour faire face à n'importe quelle situation. Tout peut aller très vite. Je navigue seulement depuis 7 ans et j'ai déjà du faire face à 2 pannes moteurs en mer, une au port, une fuite de cale, 2 ouragans et un moteur qui fume en sortie de port. Même sur une journée tout peut arriver si vite. En donnant ce "passeport" pour la journée, peut être qu'on sous-tend que c'est facile et qu'on ne craint rien tant qu'on ne va pas loin. L'approche française est beaucoup plus conservative.
Avec le temps, je me suis également rendu compte d'un autre décalage avec les anglais. Chez nous faire de la voile est également associé aux personnes aisées mais pas seulement. Des personnes comme moi vont faire un stage aux Glénans ou partir avec quelques amis en cabotages pour des sommes acceptables. Ce n'est pas réservé à une élite. En Angleterre, il semblerait que ce ne soit pas tout à fait la même. Lors de mon expérience, j'ai rencontré peu de passionnés et beaucoup de personnes riches qui voulaient faire quelque chose. L'approche et les attentes n'étant pas les mêmes ça a sans doute amplifié le décalage. La Clipper Race marche en Angleterre mais aurait sans doute peu de chance de rencontrer du succès en France. Personne en France (ou presque) n'irait mettre 70 000 euros pour faire le tour du monde avec des inconnus sur des bateaux. Avec un tel budget, un français tenterait plutôt sa propre aventure.
En Angleterre, même en n'ayant jamais navigué, on se dit qu'on peut faire la Clipper race pour vivre une expérience unique. C'est également ce qui est relaté dans le podcast. Mais ont-ils vraiment conscience de ce qu'ils font? Depuis ma course, il y a eu 2 morts dans l'édition suivante et déjà 1 mort dans celle en cours. Peu avant que j'embarque, un homme avait été sauvé in extremis d'une mort certaine après une chute en mer alors qu'il avait été repêché 40 minutes plus tard dans une eau glaciale. Et quelle ironie quand le 31 octobre dernier, jour de mon anniversaire, j'apprends que mon bateau, le CV24, s'est échoué au sud de l'Afrique du Sud! Heureusement aucun blessé. Le bateau a du être démantelé sur place. Il n'y avait jamais pas eu de mort ou d'échouage avant l'édition 2015-16.
Faut-il se poser la question de la pérennité d'une telle course sur le long terme? Au début la course attirait les passionnés de voile et permettait un bon équilibre novices / expérimentés. Aujourd'hui, à force, les marins aguerris ayant les moyens se font peut-être plus rares. A ratisser de plus en plus large, ils commenceraient alors à avoir de vrais équipages non expérimentés et à faire prendre de gros risques à ces novices...
Et n'oubliez pas d'écouter le podcast!
Joyeuses fêtes :)